À travers mon exploration de l’image du travailleur contemporain dans l’exposition Le rêve en bleu, l’œuvre L’établi dessine une temporalité. Partant de la réalité des années 60/70, les formes de réification corporelle persistent et évoluent jusqu’à aujourd’hui. Ce rêve, qui a attiré tant de personnes à l’usine pour améliorer leur qualité de vie et obtenir un statut honorable, s’efface peu à peu jusqu’à la désillusion. C’est la collision avec un système en pleine transformation. Le bleu de travail s’estompe, se vidant de sa couleur, ne laissant qu’une forme de sujétion qui déforme l’ouvrier en un simple instrument.
D’une pression délicate, la feuille détrempée prend forme au relief de la matrice. Lentement, insidieusement, elle (dé)forme jusqu’au cœur du papier. Pression, répression, dépression : trilogie contemporaine de nos contingences.
Robert LINHART, L’établi, Édition de Minuit, 1978
L’Etabli, ce titre désigne d’abord les quelques centaines de militants intellectuels qui, à partir de 1967, s’embauchaient, " s’établissaient " dans les usines ou les docks. Celui qui parle ici a passé une année, comme 0. S. 2, dans l’usine Citroën de la porte de Choisy. Il raconte la chaîne, les méthodes de surveillance et de répression, il raconte aussi la résistance et la grève. Il raconte ce que c’est, pour un Français ou un immigré, d’être ouvrier dans une grande entreprise parisienne. Mais L’Etabli, c’est aussi la table de travail bricolée où un vieil ouvrier retouche les portières irrégulières ou bosselées avant qu’elles passent au montage. Ce double sens reflète le thème du livre, le rapport que les hommes entretiennent entre eux par l’intermédiaire des objets : ce que Marx appelait les rapports de production.